Notre projet consiste en un site interactif, conçu comme un jardin numérique de relations posthumes.
Ce site n’est pas un mausolée numérique. Ce n’est pas non plus un cimetière interactif. Il n’est ni un hommage, ni une reconstitution. Il ne prétend pas réparer les pertes, encore moins les faire taire. Il propose autre chose : une manière de vivre **avec**, à côté, **parmi** les mortxs.
Inspiré·es par les pratiques spirites, les philosophies du care, les gestes d’écoute aux absents, et les pensées de Vinciane Despret, nous voulons imaginer ici **une alternative au deuil** tel qu’il est souvent pensé dans nos sociétés : comme une étape, un processus, un travail à faire pour clore, tourner la page, retrouver une supposée "normalité".
Mais que se passerait-il si nous ne cherchions pas à fermer, mais à **ouvrir** ? Si, au lieu de réparer une absence, nous apprenions à lui faire place, à la loger dans nos gestes quotidiens, dans nos mémoires fractales, dans nos technologies sensibles ?
Nous partons d’une hypothèse simple : **les mortxs ne sont pas parti·es**. Iels ont simplement changé de mode d'existence. Iels parlent autrement. Iels s’adressent à nous dans les rêves, les hasards, les lapsus, les intuitions, les phénomènes naturels. Certain·es les voient dans la silhouette d’un arbre, d’autres les entendent dans une voix à la radio, d’autres encore les ressentent dans la douceur d’un textile ou le tracé d’un chemin familier.
Pour Vinciane Despret, les mortxs ne cessent de faire des choses : iels perturbent, inspirent, accompagnent. Le problème n’est pas leur disparition, mais la violence symbolique qui consiste à leur retirer toute agentivité au nom du deuil. Or, **on n’apprend jamais à bien vivre avec les mortxs** : on apprend surtout à ne pas trop en parler, à ranger leurs effets personnels, à refermer les lieux, à "faire son deuil". Ici, au contraire, nous proposons de créer des conditions pour que la relation puisse continuer, changer de forme, mais persister.
Ce site est un
dispositif thérapeutique au sens large, c’est-à-dire un outil relationnel. Il s’adresse à celleux qui refusent que la mort soit une fin. À celleux qui veulent entretenir les liens, même en tremblant. À celleux pour qui la mémoire est un muscle discret, un sol à cultiver, un souffle ténu mais vital.
Le collectif fonctionne sur un mode anonyme et distribué, en refusant la logique de l’auteur.
Chaque participant·e peut déposer un souvenir, prolonger un geste, imaginer un futur. Le site ne demande pas de nom, pas de datation. Nous rejoignons Isabelle Stengers et sa défense des "écologies de pratiques", où les savoirs ne sont pas des objets fixés mais des gestes situés, à rejouer et transformer. La mémoire devient ici un geste collectif et spéculatif.
Sur le plan technique et matériel, le projet s’inscrit dans une logique de production low-tech et open source.
Le site est réalisé en HTML/CSS/JavaScript, avec comme infrastructure propriétaire : neocities, qui est un hébergeur opensource et gratuit pour les sites en dessous de 1 giga de stockage. Cette légèreté technique est un choix politique : elle permet la circulation du projet, son appropriation par d’autres groupes et garde une dimension écologique matérielle.
Politiquement, l’œuvre se positionne comme une critique de la culture de l’accélération et de l’effacement.
Contre le deuil normatif et la mémoire privatisée (ex. : les profils posthumes sur les réseaux sociaux), nous proposons un espace de lenteur, de dérive et de fabulation active. En cela, nous nous inscrivons dans les perspectives de Donna Haraway et de Vinciane Despret qui, chacune à leur manière, défendent la fabulation comme pratique de résistance : résister à l’effacement, au naturalisme de la mort, et à l’individualisme de la perte. Il ne s’agit pas de "rendre hommage", mais d’entrer dans une pratique continue de relation, où les morts participent à la fabrication du présent et de ses possibles.
À partir de l'inspiration du spiritisme, de la pensée de Vinciane Despret et des récits intimes, nous proposons trois manières de laisser une place aux mortxs :
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Penser à elleux -
Nous vous invitons à commencer par la page suivante : inscrivez quelques mots, une mémoire, un souvenir, un geste. Cette mémoire est locale, intime, elle n’est conservée que sur votre appareil, reliée à votre adresse IP. Vous pouvez y déposer, en toute discrétion, ce qui continue de vous relier à vos mortxs. Chaque souvenir est un geste d’attention, une manière d’habiter la relation.
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Trouver un lieu -
À travers un jeu vidéo onirique créé avec Bitsy, vous pouvez vous promener dans un monde doux et discret pour y trouver un lieu quotidien pour vos mortxs : un banc, une plante, un escalier, une pierre. Le deuil devient ici une géographie affective, un paysage à cohabiter.
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Grandir en énigme -
Grandir, vieillir avec nos mortxs, c’est accepter les énigmes qu’iels déposent en nous. Ce n’est pas tant comprendre que laisser résonner, reconnaître ce qui, dans nos gestes, nos voix, nos regards, a été touché par elleux.